L’amertume d’un vieux boutiquier amazigh soussi
Récit de Azergui Mohamed Pr universitaire retraité – soussannonces.netBoutiquiers amazighs soussis soumis au mépris des citadins : « Le sentiment d’injustice ne suffit pas pour vaincre l’injustice (F Mitterrand) ».Da-Yder arrive au terme de sa vie, il la quitte en paria, comme bien des amazighs venus de l’Atlas. Jadis, ils étaient appelés berbères (sauvages), de nos jours, chleuhs ce qui signifie brigands en arabe savant, et minables en arabe courant. Les Imazighens, résistants éternels, ont été repoussés loin des plaines et des littoraux utiles. Ils se sont réfugiés là haut dans la misère certes, mais libres.De ce fait, la misère ne quitte pas Da-Yder c’est une amie fidèle. Il ne sait pas quand il est né. Ses premiers souvenirs remontent aux rivalités qui avaient opposé deux clans de son village et datées -1928/30-. Il a en résulté des assassinats dont son père devant lui. La zaouïa de la tribu avait intervenue en vain. C’est l’arrivée des militaires français (1934) à Tanalt (Anti Atlas) qui arrête ces massacres fratricides.Da-Yder quitte dès lors cet enfer à pieds et se dirige vers le Nord. Il est capturé, fiché et relâché par les autorités françaises. Il marche des semaines durant, travaillant par-ci, volant par-là et couchant à la belle étoile pour enfin arriver dans le vieux Rabat. Il trouve des gens du Sud de même langue et de même culture que lui. Ils sont cireurs, porteurs, ouvriers, serveurs, valets, jamais mendiants. Ils survivent en groupe dans des taudis de la Médina.Les citadins les traitent en gueux. Ils leur interdisent de sortir lorsqu’ils vont au bain maure, le Pacha les oblige à monter la garde de nuit. On leur donne par pitié de la soupe au Ramadan et quelques crêpes à la fin du mois sacré. On leur envoie une ou deux brochettes et des tripes du mouton duSacrifice. Da-Yder a toujours refusé cette aumône hypocrite. Avec le temps, pour avoir été quelque peu alphabète, il est promu chef des porteurs des coffins des colons et ses pourboires augmentent. Il loue une échoppe dans une ruelle de la Médina et devient petit boutiquier à vie. Il se donne un petit congé mérité et part se reposer dans son patelin. Sa mère en profite pour le marier avec une de ses nièces à elle, déjà âgée mais, très belle. Elle s’appelle *Mamasse.Da-yder lui fait vite un petit ventre et revient dans sa boutique. Là, il sent la misère des citadins vaniteux face à la pénurie et le rationnement. Il mesure la détresse des ruraux affamés par la sècheresse chronique. Après la2ème Guerre mondiale, il adhère au Parti dominant de l’époque on lui fait jurer fidélité sur le Coran. Il donne son peu d’argent, participe à la résistance urbaine. Arrêté et condamné, il est ennoyé loin dans une prison agricole. Libéré (1956) il ne trouve personne pour l’accueillir à sa sortie. C’est un français qui le prend en auto stop et le dépose à Rabat où il découvre les parjures des chefs du Parti et leurs intrigues pour s’accaparer le butin légué par les colons. Ils se déclarent arabistes par calculs et intérêts. Craignant les amazighs, ils les méprisent et les marginalisent partout. Il les abandonne avec dégout et sans regret. Da-YDER retourne dans son échoppe à peine plus grande que son ex cellule de détenu. Elle est vide. Tout le pays est en festivités, euphories et folies continues. Les colons partent pour toujours crient les arrivistes en se préparant à les remplacer en colons internes. Il emprunte de l’argent à des amis de tamazirt, achète un peu de denrées de base, sa boutique n’est pas garnie ce qui blesse son orgueil de commerçant Soussi.Il habite dedans en ermite, sans eau, et sans sanitaire. Il adopte un petit chat noir qui le débarrasse avec plaisir des rats et des blattes. Ils deviennent des amis partagent leurs maigres repas. Parfois le minet s’absente des jours durant, pour satisfaire les chattes en chaleur des environs. Il revient gai et rayonnant et s’endort. Da-YDER lui est toujours derrière son comptoir fidèle à son poste. Du dehors les passants voient un homme trapu, en blouse beige, une chemise sale, un turban sur la tête.A ses heures creuses, il s’assoit sur sa natte, et lit en tamazight les vers du Guide des Biens de S Jazouli. Il rêve d’égalité et de fraternité entre les humains. Certaines après midis il va se ravitailler chez un grossiste juif amazigh venu de Tahala pas loin de Tanalt. Ils parlent en tamazight de leurs montagnes avec nostalgie. Ils se passent des nouvelles de tamazirt et se chantent les poèmes amazighs.Des fois il se rend chez un distributeur agréé du thé et sucre. C’est un gros bourgeois de la Médina qui ne lui fait pas de crédit et qui le déteste poliment. Da-Yder se lève très tôt, va à la mosquée pour les toilettes et la prière de l’aube et celles de la veille. Il passe au marché acheter une grosse motte de menthe et au four un sac de pains chauds. Il ouvre alors sa boutique pour une longue journée continue. Les clients arrivent, ils sont de très mauvaise humeur pour des conflits de lit.Il les subit pour éviter des outrages anti chleuhs dès le matin. Les enfants arrivent plus tard pour les bonbons et gaufrettes. Ils lui crient en fuyant et en riant des avanies du même répertoire que leurs parents. Les femmes débarquent pour la farine, la levure, l’huile en détail, le savon, le tout à crédit. Elles jasent entre elles librement sans se soucier du petit boutiquier chleuh supposé borné et asexué.A midi les hommes reviennent, ils achètent du sucre, thé, menthe et quelquefois, une limonade. Ils se plaignent de la cherté des denrées en incriminant les détaillants venus des monts pour les voler. A force d’entendre ce discours, Da-yder se considère étranger dans la capitale de son propre pays. Le soir les vieux citadins de l’époque vont dans les cafés maures du coin. Etendus sur des nattes de pailles ils fument le hachisch et se racontent les épopées mythiques de Seif ben Yazen. Les jeunes et les moins jeunes fréquentent les bars de la ville nouvelle. Avant d’aller se coucher certains font quelques achats. Drogués et saouls ils n’ont plus de masque social du jour. Là de nuit Da-yder est traité de chleuh intrus et nauséabond. Plusieurs fois il a essuyé des crachats en pleine figure et une fois même, il a reçu un panier d’œufs sur son turban et son comptoir renversé. Il ne se plaint jamais convaincu que c’est vain. Il ferme sa boutique lorsque la rue est vide, iléteint l’ampoule électrique. Il est fatigué, il dort dans sa boutique à côté de son chat. Il fait des rêves où son désir de justice est exaucé. Il se voit en Aigle Noir venu des monts foncer sur la médina pour en chasser les cobras à têtes humaines.Le lendemain il doit recommencer le même labeur. Son temps n’est pas linéaire mais cyclique. Les vendredis les femmes lui achètent de la semoule, les épices, le beurre rincé pour le couscous. Les hommes vont à la mosquée en habits blancs et oublient de retourner au travail l’après-midi. A la fin du mois certains clients paient leur crédit d’autres rechignent ou refusent et menacent.Au début de l’automne, il vend les fournitures scolaires payées des mois après. Il vit l’hiver dans sa djellaba de poils de chèvres, son chat se pelotonne et cache sa tête. Au printemps son matou est de nouveau en rut, les citadins vont festoyer dans les zaouïas rurales. L’été sa boutique est envahie par des nuées de mouches de longs convois de fourmis et des blattes venues de nulle part.Son année est balisée par les fêtes sacrées, célébrées en pompes dans la Médina. Il s’approvisionne alors en légumes et fruits secs, épices, tambourins, jouets, pétards selon la circonstance. Les citadins mettent des costumes traditionnels, se sourient, se congratulent avec civilité hypocrite, se rendent visite. Mais ils n’invitent jamais Da-yder, ce qui lui transperce le cœur. En août sans préavis, il ferme sa boutique pour un bon mois et rejoint son village de l’Atlas. C’est la période des *anmougars, des *tiwizis d’été, des mariages, des danses, des hymnes d’amour et de fusion avec la Nature.C’est pour lui l’occasion d’aller voir ses enfants et surtout dit-il avec malice leur mère. Elle se fait belle avec les produits naturels (argane, henné, khôl, écorce de noyer, eau de rose, basilic).Malgré ses courts séjours, elle a pu lui faire une demi douzainede petits. Elle en a perdu la moitié en bas âge, ils seront des anges qui me défendront devant Dieu affirment elle. Da-yder vénère sa mère âgée et lui obéit sans réserve. Elle régente tout et lui impose d’amener ses deux petits fils en ville pour l’Ecole moderne. Leur voyage a été pénible et long via un vieux bus de transport (Ait Mzal). Les deux petits ont vomi tout le temps et ils arrivent en épaves. Pour les loger Da-yder loue une petite cave, sans fenêtre, sans eau et sans WC.Les deux enfants sont très déçus, ils quittent la nature, laissent une grande maison pour vivre en taupes dans un trou. Leur père leur sert du pain invendu, leur cuisine les sardines de la veille, les viscères de fin de jour, les féculents avariés, les légumes entamés et leur donne des fruits touchés. Leur nourriture les rassasie car ils ont toujours faim. Ils vont dans les toilettes publiques pour leurs besoins. Là ils ont vu et entendu de vilaines choses.Chemin faisant les petits citadins les bousculent et les traitent de petits chleuhs, au vu des passants amusés. Ils sont maigres, mal vêtus sales et pouilleux. Les citadines en quête de petits crédits, à l’insu du mari, disent à Da-yder que ses deux enfants sont mignons, sans jamais oser les embrasser même derrière le voile du visage. Da-Yder les met d’abord au Msid et après il les inscrits dans l’Ecole publique de la Médina.Ils ne parlent que leur langue maternelle le tamazight. Leur ignorance naturelle de l’arabe et leur accent fait rire les maîtres. Les élèves les huent librement en classe et sans pitié dans la rue leurs. Ils détestent l’Ecole mais le père les force à y aller. Les années passent ils grandissent dans la misère, et avancent par la volonté du père dans les études.Tout à coup le premier, alors élève au lycée, tombe très malade. Il se sent faible, a des sueurs, de la fièvre, et une toux continue avec des gouttelettes de sang. Il est atteint d’une phtisie aigue il passe des mois au sanatorium de Ben Smim. Il en sort diminué à vie et se réfugie dans l’enseignement. Da-Yder en gardera une plaie profonde dans son âme. Le second fils, dégoûté de sa vie de misérable amazigh et de paria de Médina, abandonne ses études au lycée etémigre en auto stop en France.Il rencontrera une étudiante française de famille aisée qui l’aide à fond. Il fait une formation professionnelle et travaille. Ils se marient et fondent une famille en France. Il tente d’oublier les vestiges les affronts anti chleuhs de la Médina, il oublie son pays et les sacrifices de son père. Da-yder n’a plus qu’une fille qu’il adore. Il la marie à un jeune du village, sain, fort et sérieux et lui cède volontiers sa boutique. Le cycle de reproduction de la misère repart alors pour ces descendants amazighs du Maroc. Da-Yder connait presque tous les vieux boutiquiers de la Médina et ils sont tous amazighs du Souss. Il affirme qu’ils ont tous scolarisé leurs enfants par patriotisme naïf d’antan, ils ont lutté en vain. Leurs fils n’ont pas fait un grand chemin dans la vie. Par contre, les fils de leurs clients citadins ont eu un avenir meilleur. Surtout ceux des Notables, népotisme oblige. Il a côtoyé en résistant les crocodiles de la politique et connaît leur cynisme. Sans avoir lu N. Machiavel, il soupçonne serpents pan arabistes sous roches et sables. Mais il n’a plus l’âge et la force pour pouvoir militer contre l’injustice délibérée contre les amazighs. Da-Yder vieux, épuisé s’en est retourné dans ses montagnes de l’Atlas d’où il était parti enfant, fort et sain. Il retrouve les maisons de ses aïeuls en ruines, mais elles sont pleines de souvenirs. Celles nouvelles sont certes grandes, vides et sans âmes. Elles ont été bâties par les parvenus de la négoce de Casa. Jusqu’aux années 70 son village est réputé surpeuplé, maintenant il est dépeuplé. Les habitants sont allés dans les bidonvilles du Maroc et les banlieues d’Europe pour survivre dans la misère et subir le racisme. Ils ont laissé à l’abandon une belle et grande oliveraie que leurs ancêtres avaient défendue avec courage. Il ne reste plus sur place que des sangliers, les femmes âgées, deux retraités de France et de Belgique qui se sont mariés avec des adolescentes issues de familles pauvres de la tribu. Ils vivent très à l’aise et refont leur jeunesse après des années de privations et de souffrances vécues en Europe.Da-Yder lui n’a pas de pension alors qu’il a passé presque toute sa vie dans sa boutique dans la peine Il se contente de vivre avec sa femme *Mamasse devenue âgée mais toujours vigoureuse et espiègle. Ils ont une vache, un âne, un chat, un chien, poules et un beau coq. Ils cultivent leurs lopins de terre. Ils s’occupent de leurs oliviers, amandiers, figuiers, caroubiers, et ils vivent en vieux couple paisible. Ils écoutent les monts de l’Atlas qui chantent, en éternels rebelles, et à toute la Terre en tamazight. Ils lui racontent le passé glorieux des amazighs et se plaignent de leur destin amer.*
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Tiwizi : tradition de solidarité amazigh
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